
Badi aime les plans simples, sans prise de tête. Il a fait d’un diminutif (Badi pour Badibanga Ndeka) son nom de scène et est parti à l’assaut de la musique qu’il aime, mêlant sonorités congolaises et accords de la pop mondiale. Au feeling, sans se poser des milliers de questions. Comme quand, enfant, il slalomait entre les clips de Michael Jackson et le saxophone offert par son oncle, Papa Rondo, musicien au sein du fameux orchestre OK Jazz de Franco.
Côté look, le rappeur Badi arbore la coupe de Lumumba et rivalise avec la sape attitude d’Alain Mabanckou. Autant de signes distinctifs qui ne l’empêchent pas d’être foncièrement lui-même : à la fois « d’ici et de là-bas, Blanc de coeur, Noir de peau, Européen et 100 % Bruxellois ». Un héritage culturel métissé qu’il continue à explorer dans son nouvel album Article XV, du nom de cette maxime («Débrouillez-vous») sacrée n°1 au Congo.
Histoire personnelle et actualité
« En trame de fond, entre les morceaux, l’album retrace la vie de mon père, qui en est le narrateur. J’avais envie de revenir sur son arrivée en Belgique en 1977. Dans Matonge – son premier album sorti en 2013, NdlR -, je découvrais le Congo » car Badi a toujours vécu en Belgique. « Cet album-ci fait le chemin inverse: c’est l’Africain qui découvre l’Europe. » En filigrane, Badi y relit son histoire familiale. Mais pas seulement, car Article XV évoque aussi l’actualité congolaise.
« Je trouvais important de lier la grande Histoire avec mon histoire. Les problèmes rencontrés par le Congo me touchent personnellement suite à des engagements pris avec une association congolaise(l’Afede pour Action de femmes pour le développement, NdlR), basée ici en Belgique, qui scolarise chaque année 50 enfants à Goma. Ils m’avaient demandé de faire un petit happening pendant une de leurs soirées et c’est là que j’ai vu des photos d’enfants nés du viol ou victimes eux-mêmes. Cela m’a donné l’envie d’écrire la chanson « La plus belle pour aller danser », sortie en single. Les fonds récoltés ont servi à financer la scolarité des enfants. J’ai remis ce morceau sur l’album car il me semblait important d’en parler. On pointe souvent les artistes congolais qui ne prennent pas position et pas assez ceux qui le font. » Il sourit.
« Je travaille beaucoup avec le producteur Sluzi, également Congolais. On tombe parfois sur des samples qui abordent des sujets qui nous intéressent. À partir de là, je commence à broder des textes. J’avais envie de parler de mon histoire familiale mais je ne voulais pas m’enfermer car c’est toujours délicat. Déjà, quand mes proches ont écouté certains morceaux, ils étaient étonnés que j’ose parler des difficultés avec mon père, etc. Il y avait ce questionnement personnel et en même temps, j’avais envie de rendre hommage à la musique congolaise en la faisant rentrer dans des morceaux qui peuvent parler à tout le monde. »
Ateliers d’écriture et mollahs du hip-hop
Parti à Dakar, à Brazzaville et à Pointe-Noire cet été, Badi a pu y observer les réactions du public africain face à sa musique. « Les gens étaient surpris mais moi aussi. A Dakar, ils ont beaucoup réagi à ‘Lettre à ma femme’ dans laquelle je parle de Lumumba alors qu’a Pointe-Noire, ils avaient un peu peur parce qu’ils n’ont pas l’habitude d’entendre ce type de discours en public. Mais petit à petit, ils se sont lâchés. » Un partage que Badi n’a pas vécu uniquement sur scène puisqu’il a aussi donné des ateliers d’écriture à Dakar et à Brazzaville.
« J’écris presque toujours en m’inspirant de la musique. Je me considère comme un rappeur car jusqu’à preuve du contraire, je ne chante pas et aujourd’hui, le rap est tellement multiple, entre Maître Gims et Stromae, que je n’écoute plus les opinions tranchées des mollahs du hip-hop. »
Les professionnels, eux, ne s’y trompent et lui ont attribué le prix Paroles urbaines 2017.
« Ca m’a touché car il récompense l’écriture et puis, cela se passait devant un jury, avec une présélection donc ce prix, il a fallu aller le chercher. »
Musiques métissées et système D
« Je me suis beaucoup impliqué dans la composition des morceaux, je fonctionne à l’écoute. Avec une prédilection pour les musiques très métissées, mêlant influences et rythmes très différents. Le public est très réceptif car il se fait surprendre: ça bouge. Même si les sujets sont parfois durs, je veux qu’il y ait du rythme, j’aime le côté divertissant qu’apporte la musique. Le hip-hop fait bouger la tête, la musique congolaise fait bouger les hanches. Selon moi, les gens segmentent trop. Soit, on fait de la musique rythmée et on propose des textes légers, soit on fait une musique plus calme, alors les thèmes sont plus sérieux. Même si les textes sont parfois durs, je ne veux pas que le tempo redescende trop. Je veux garder cette énergie-là. »
Reste à creuser son rapport à l’Article XV : reflet de son parcours ou choix symbolique ?
« J’aime beaucoup l’expression et je voulais en faire un fil conducteur. La débrouille fut la règle pour mon père, mais elle l’est aussi pour moi en tant qu’artiste autoproduit. Et il y a une résonance pour les jeunes aujourd’hui. C’est un truc générationnel et un message universel, en fait. »
Source: Badi voyage entre Kinshasa et Bruxelles avec « Article XV »