L’apartheid est un terme qui signifie «mise à part» en afrikaans. En effet, pendant 40 ans en Afrique du Sud, une minorité blanche a imposé par la force et la violence ses idées ségrégationnistes et discriminatoires à une majorité noire, conduisant le pays à un chaos sans précédent.

Selon le docteur Verwoerd, qui est le premier a avoir utilisé le terme apartheid, il s’agissait d’une idéologie qui devait permettre un «développement séparé» des différentes communautés du pays. Dans la réalité, ce concept immonde s’est résumé en un racisme violent, fondé sur la conviction que les Blancs étaient un peuple élu et que le métissage ainsi que la population noire plus nombreuse constituaient une menace. Dans les faits, les origines de l’apartheid sont beaucoup plus économiques qu’autre chose.

 

L’apartheid est né de la lutte des classes, conçue par les travailleurs blancs pour combattre les capitalistes blancs et la majorité noire. Aux origines, lorsque les Britanniques arrivent en Afrique du Sud en 1796, prenant le contrôle de la colonie néerlandaise qui y avait été établie en 1652, ils imposent leurs idées libérales et individualistes, scandaleuses aux yeux des Afrikaners ou Boers, noms attribués aux colons néerlandais. Ces derniers ont régulièrement recours aux esclaves, importés de Chine et de Malaisie, qu’ils traitent sans ménagement. Les tensions s’exacerbent quand les Britanniques abolissent l’esclavage en Afrique du Sud en 1834, conduisant à l’exode des Boers au cours du Grand Trek en 1835.

Les Boers se replient donc dans ce qu’ils appellent la région du Transvaal et fondent «l’État libre d’Orange», à savoir sans domination britannique. Ils reprennent les mœurs racistes prébritanniques, traitent avec brutalité les quelques non-blancs qui résident et travaillent au sein de leur économie agricole et ne leur accordent aucun droit.

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Brutalité policière durant l’apartheid Ⓒ https://twitter.com

À Capetown cependant, au 19e siècle, l’ambiance est tout autre. Sous contrôle britannique, la région est reconnue pour son métissage unique au monde à l’époque. Une large population non blanche, «les Cape Coloured» (nom de la population métisse du Cap), partage déjà les mêmes églises, écoles, institutions et commerces que les blancs, a aussi le droit de vote et peut se marier avec des blancs. Ces habitudes de non-discrimination entrent dans la loi en 1854 avec l’adoption du «Cape Qualified Franchise».

La séparation physique entre les deux populations européennes permet un équilibre précaire au milieu du 19e siècle. Mais cela ne devait pas durer. En effet, la découverte des premiers gisements d’or, près de la rivière Rand, dans le Transvaal en 1871, 5 ans après la découverte de diamants dans cette même région, a pour effet de raviver les tensions entre les communautés, provoquant une vague de violence. Afrikaners, Britanniques, Xhosa, Sothos, Zoulous, tous sont attirés par les nouvelles opportunités qui s’offrent peu à peu dans le bassin géologique du Witwatersrand. Très rapidement, par souci d’économiser, le remplacement des travailleurs blancs semi-qualifiés et qualifiés par de la main-d’œuvre noire locale bon marché devient la norme dans l’industrie minière.

Les travailleurs blancs craignant la compétition, les membres de corporations blanches, avec le soutien de représentants de l’État et de la police, s’en prennent fréquemment aux travailleurs noirs pour les décourager à se rendre dans les régions minières pour y trouver du travail. Dès les années 1890, la Chambre des Mines, un organisme regroupant les employeurs du secteur minier, commence à se plaindre des violences infligées aux travailleurs noirs et tente à plusieurs reprises d’obtenir de meilleurs traitements. Cet intérêt soudain pour les autochtones n’a cependant rien à voir avec une préoccupation pour les droits individuels ou pour l’égalité. En réalité, les propriétaires de mines sont reconnus comme racistes, mais leurs intérêts économiques étant menacés, ils exigent de la Chambre des Mines qu’elle finance les premiers procès et les premières campagnes de défense des travailleurs noirs.

De son côté, l’État met en place tout une pléthore de lois dans le but de mettre des bâtons dans les roues des ouvriers noirs. Les célèbres «Pass Laws» ont pour but de réduire considérablement les libertés des travailleurs non blancs dans certaines zones. Par exemple, les noirs n’ont plus le droit de s’installer durablement à proximité de leur lieu de travail ni de se déplacer sans passeport. Cette dernière restriction créant de fait une situation inextricable : les passeports n’étant délivrés qu’à ceux ayant déjà un emploi.

Ces restrictions sapent les chances des noirs d’entrer dans l’économie du pays et les défavorisent face aux blancs. La situation s’enlise et devient de plus en plus précaire pour les noirs.

Le Parti travailliste sud-africain (PTSA) est formé en 1908 pour faire progresser la cause des ouvriers européens. Le PTSA et les syndicats auxquels il s’allie, comme le puissant Syndicat des Travailleurs des Mines, sont tous blancs et ouvertement socialistes. Ces organisations s’opposent à la dégradation des standards «européens» ou «civilisés» sur les lieux de travail, à savoir l’avancement d’ouvriers noirs acceptant de travailler pour moins cher que les ouvriers syndiqués. Pour décourager les propriétaires de mines de remplacer des travailleurs européens par des travailleurs africains, ces syndicats ont recours à la violence et à la menace de grèves.

La récession qui suit la guerre et la chute vertigineuse des cours de l’or mettent le feu aux poudres. En décembre 1921, 2000 employés «blancs» bien rémunérés sont remplacés par des Africains. Avant que la substitution prévue ait lieu, le Syndicat des Travailleurs des Mines lance une grève générale et occupe toute la région minière du Rand durant deux mois.

La situation dégénère, mais le gouvernement, avec une démonstration de force, réussit à reprendre le contrôle au prix de 250 vies perdues. Plusieurs meneurs de la grève sont pendus. Le leitmotiv des grévistes est révélateur : «Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! Et battez-vous pour une Afrique du Sud blanche !». Les syndicats noirs ne sont pas illégaux, mais aucun n’est officiellement reconnu par le ministère du Travail jusqu’à ce qu’une loi encourageant les syndicats africains soit votée des années plus tard, à la fin des années 1970.

Dès 1948, le phénomène se reproduit avec la récession causée par la 2e Guerre mondiale. La peur que les blancs pauvres soient dépassés par des travailleurs noirs grimpant peu à peu l’échelle sociale attise les tensions raciales. Le National Party est élu pour mettre en place l’apartheid : une nouvelle politique sociale complète de «développement séparé».

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Bus pendant l’apartheid Ⓒ https://tpeluttecontreleracisme.wordpress.com

L’idéologie de l’apartheid se manifeste comme suit : la coopération économique interraciale entraîne une intégration sociale et celle-ci entrainant à son tour une coopération économique, les employeurs blancs sont systématiquement attirés par la main-d’œuvre noire bon marché. Les racistes voient dans la ségrégation sociale inscrite par la loi la méthode phare afin de protéger les intérêts des travailleurs blancs. On peut aussi ajouter à cela le soutien des fermiers blancs qui, dans le souci de disposer d’une main-d’œuvre noire, souhaite lui interdire l’accès aux emplois industriels.

Le «Population Registration Act» définit les quatre principaux groupes raciaux auxquels chaque individu est systématiquement rattaché :

les Blancs, principalement les descendants d’immigrants européens, parmi lesquels on distingue les Afrikaners (d’origine néerlandaise, française, allemande ou scandinave) et les anglophones. Ils représentent un peu plus de 21 % de la population sud-africaine au moment de la mise en place de l’apartheid.

les Noirs ou Bantous, qui représentent près de 67 % de la population sud-africaine.

les métis ou Coloured qui représentent 9 %.

les Asiatiques, surtout des Indiens, représentant un peu moins de 3 % de la population.

Ainsi, en 1950, Le «Group areas Act» oblige chaque groupe à résider dans des zones urbaines prédéfinies. Les «Pass Laws» régulent le droit de déplacement des non-blancs à l’intérieur même du pays. Les dépenses gouvernementales en éducation sont exagérément concentrées sur les enfants blancs et négligent volontairement l’instruction des enfants noirs. Les Africains n’ont pas le droit d’être propriétaires d’un bien immobilier. Toutes ces mesures n’ont pour but que d’asseoir le protectionnisme économique dont jouissent déjà les travailleurs blancs.

En 1953, ce sont les services et les lieux publics qui font l’objet de séparation avec le «Reservation of separation Act». Les panneaux «Europeans only», «Natives only» et «Coloured only» deviennent obligatoires.

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Affiche interdisant l’accès aux noirs Ⓒ http://www.sahistory.org.za

La croissance des années d’après-guerre en Afrique du Sud fait que l’idée même de «développement séparé» devient ridicule d’un point de vue pratique, sans parler des horreurs morales qui en découlent. Sans travailleurs noirs qualifiés, le niveau de vie des blancs se serait effondré en un rien de temps. Cet état de fait rapproche physiquement et socialement les individus de races différentes. Les blancs comprennent que la coopération interraciale est un bénéfice pour eux.

À la même période, la croissance brutale de la population noire urbaine et éduquée, avec notamment une modeste classe moyenne noire, contribue à augmenter le coût économique du maintien de l’apartheid qui vit ses derniers moments. De manière plus significative, l’abolition de la loi anti-mariage mixte intervient en 1985, suivi de l’abolition des «Pass Laws» en 1986, ou encore l’élimination de «l’apartheid ordinaire», c’est-à-dire la séparation des infrastructures accessibles aux noirs et aux blancs.

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Statue de Nelson Mandela Ⓒ https://www.francetvinfo.fr

En 1991, le président F. W. De Klerk abolit le «Group Areas and Population Act», base même du système ségrégationniste. Le pays s’attèle alors à la rédaction d’une constitution sans aucune discrimination raciale pour façonner une «nouvelle Afrique du Sud». En avril 1994, Nelson Mandela, un activiste antiapartheid qui a passé 27 ans en prison, est élu président de l’Afrique du Sud lors du premier scrutin non raciste. L’African National Congress (ANC) de Mandela gagne 252 des 400 sièges à l’Assemblée nationale. C’est la fin de l’apartheid et le début d’un long chemin vers la réconciliation.