Lunettes rondes et tresses au fil de fer, Ibaaku a les allures d’un être hybride tout droit sorti d’une machine à remonter le temps. Sauf que nul ne saurait dire d’où il vient, son univers artistique étant un voyage hypnotique entre les espaces spatio-temporels.

Producteur, parolier, rappeur, multi-instrumentiste, Ibaaku, de son vrai nom Stephen Ibaaku Bassène, est un artiste en mouvement constant. Ambassadeur incontournable de la scène underground sénégalaise, il a derrière lui plus de 20 ans de carrière. Ayant successivement cofondé les groupes LZ3 (Lyrical Zone 3), Still, avec lequel il a sorti l’album acclamé par la critique, Musik Noire, et I Science, un duo hip-hop/reggae composé de la chanteuse Corinna Fiora et de lui-même, l’artiste s’est désormais orienté vers une carrière solo.

 

C’est dans les années 90 que le jeune Ibaaku entame son cheminement dans les arts. Sa fibre artistique, il la doit certainement à ses parents qui, en parallèle de leurs activités professionnelles, pratiquaient la photographie, la peinture et la musique. Par curiosité, il s’exercera ainsi au piano et à la clarinette. Ayant vécu à Thiès, de 1993 à 1996, Ibaaku fera la rencontre du groupe phare de la région, Wa Flash, qui le prendra sous sa houlette et renforcera sa technique instrumentale.

Groupe Wa Flash © Rahman Samb Photo

De retour à Dakar en 1996, piqué par le virus du rap, Ibaaku se familiarise davantage avec cette forme d’expression en intégrant plusieurs groupes. De temps à autre, il réalisera également des remix pour des DJ, se lançant progressivement dans la musique assistée par ordinateur (MAO). En 2000, lors d’un court séjour au Mali, il participera à la première compilation de hip-hop du pays, intitulée Mali Rap. Toutefois, de toutes ses rencontres, celle qui a marqué un tournant décisif dans sa carrière est certainement sa collaboration avec la styliste Selly Raby Kane, réputée comme «celle qui a habillé Béyoncé et sa sœur Solange Knowles». En 2014, pour accompagner le défilé de sa collection Alien Cartoon, présentée à la biennale de Dakar, la créatrice embarque Ibaaku dans l’aventure en lui demandant d’en composer la musique.

Collection Alien Cartoon de la styliste Selly Raby Kane © Omar Viktor Diop

«L’énergie féminine est très présente dans ma création.» – Ibaaku

Deux ans plus tard, désireux de faire d’Alien Cartoon un projet de plus grande ramification, Ibaaku décide de lancer un album éponyme. Sorti sous le label d’Akwaaba Music, une maison de disques basée au Ghana, en décembre 2016, ce disque est un mélange de rythmiques fiévreuses, aux sonorités africaines, jazz, soul et hip-hop. Au cours de l’année 2017, l’artiste est ainsi allé jouer les radiances de son premier album solo aux quatre coins du monde, notamment en Ouganda, en Norvège, en Belgique ou encore en Pologne, lors de la prestigieuse World Music Expo (WOMEX) qui s’est tenue en octobre dernier.

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Si le terme afrofuturisme lui est souvent rattaché, Ibaaku considère plutôt son empreinte comme étant expérimentatrice, alternative, hybride, utopique et hypnotique. Avec une touche d’humour, l’artiste considère que sa musique pourrait même être qualifiée de «gospel sérère» ou de «mbalaxou toubab», des termes qui évoquent aussi bien la culture occidentale que sénégalaise. En d’autres termes, il refuse d’être bâillonné par les carcans artistiques imposés.

«J’ai encore plein de choses à explorer. J’apprécie là où j’en suis aujourd’hui. C’est toujours une quête éternelle.» – Ibaaku

En outre, de son sens esthétique aiguisé, le DJ porte une grande attention aux photographies, aux œuvres cinématographiques et aux paysages qui l’entourent, afin de traduire leur impact dans les supports visuels qui accompagnent chacune de ses créations. Souhaitant bousculer les codes et apporter sa propre touche, Ibaaku se transpose donc avec aisance dans le paranormal.

© Andrew Oberstadt

«J’ai toujours un œil sur le potentiel visuel de l’endroit où je me trouve.» – Ibaaku

Avec pour référence de nombreux artistes et intellectuels tels que Cheikh Anta Diop, Miles Davis, le Wu Tang Clan, Fela Kuti, King Ayisoba, Erykah Badu ou encore Souleymane Faye, Ibaaku s’inspire de leur audace et de leur capacité à se renouveler.

https://www.instagram.com/p/BbFd9HrANFl/?taken-by=ibaaku

«Un gars comme Cheikh Anta Diop, c’est un afrofuturiste.» – Ibaaku

Accordant une grande importance à la communauté qui l’a propulsée, Ibaaku a récemment appelé les internautes à soutenir la réouverture du Bastion, un lieu de rencontre unique à Dakar, au sein duquel il a d’ailleurs connu Selly Raby Kane, et qui abrite les Dakar Live Sessions. Ce programme «invite régulièrement des artistes de renommée internationale à se produire à Dakar, avec des musiciens sénégalais, autour de formats musicaux inédits». Une campagne de financement participatif a d’ailleurs été lancée ici.

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D’autre part, en 2005, dans le quartier populaire de Ouakam, avec Selly Raby Kane, Ibaaku a fondé le collectif « Les Petites Pierres », qui fait en beaucoup penser au mythique Cénacle que fréquentait Victor Hugo, au 19e siècle.

«Les Petites Pierres est une association qui prend la forme d’un collectif pluridisciplinaire de chasseurs de talents, d’artistes, de concepteurs, promoteurs qui contribuent au bouillonnement de l’économie créative au Sénégal. (…) La vision de l’association s’articule autour d’une idée simple, changer le monde petite pierre par petite pierre ; chacun est invité à apporter sa contribution pour construire un édifice commun.» – Site officiel des Petites Pierres

Fantomatique et exaltant, l’album Alien Cartoon est le premier du genre sur la scène sénégalaise. Homme de son temps, Ibaaku dit se projeter à la seconde près. En outre, l’année 2018 s’annonce chargée pour l’artiste qui compte se produire sur plusieurs scènes, créer davantage de musique et finaliser le deuxième album du groupe I Science. Véritable ovni de la musique sénégalaise, Ibaaku compte ainsi poursuivre son irrésistible gravitation autour de galaxies sonores inexploitées.