
Le 10 février, la Fondation pour l’Enfance Terre de Paix a organisé une rencontre avec ses partenaires afin de partager son expérience de l’utilisation de l’art-thérapie comme nouvelle approche de travail avec ses bénéficiaires. Afin de former le personnel de l’organisation non gouvernementale (ONG) à cette méthode, des formations sont animées depuis trois ans par Kavi Vadamootoo, docteur en psychothérapie.
Cela fait plus de 35 ans que la Fondation pour l’enfance terre de paix œuvre pour le bien-être social de populations en situation vulnérable, notamment des enfants. Il y a quelque temps les responsables de l’ONG ont jugé nécessaire de donner un nouveau souffle à l’approche qui était jusqu’ici adoptée dans le travail avec ses bénéficiaires, les systèmes en place ayant montré quelques limites.

C’est dans cette optique que le Dr Kavi Vadamootoo, formateur certifié (Mauritius Qualifications Authority – MQA) en psychothérapie, forme les animateurs des diverses instances gérées par la Fondation pour l’enfance terre de paix à l’art-thérapie comme outil de l’approche psychanalytique. La méthode est graduellement mise en place dans les centres, et a commencé à donner des résultats
L’art-thérapie selon Terre de paix

L’art-thérapie, explique Alain Muneean, le directeur de l’association, est un moyen qui permet aux personnes suivies de verbaliser un certain nombre de sentiments enfouis dans leur inconscient. «Ces sentiments contribuent à leur mal-être en leur faisant vivre une instabilité émotionnelle.» L’art-thérapie, explique-t-il, est une forme de psychothérapie qui va plus loin que l’utilisation de la parole pour arriver à faire ressurgir ces sentiments enfouis.
Le but n’est pas d’atteindre une finalité esthétique, mais de donner matière à l’interprétation des émotions. «Les personnes suivies sous l’art-thérapie font un transfert d’émotions vers le papier, la sculpture ou la pâte à modeler par exemple, ce qui crée le point de départ d’un dialogue», poursuit Alain Muneean.
La formation touchant à l’art-thérapie et l’approche psychanalytique dont a bénéficié l’équipe de Terre de paix ont permis aux participants de développer de l’empathie et, par conséquent, de se placer dans la peau du bénéficiaire du programme d’art-thérapie, sans que ses ressentis ne leur collent à la peau. «La thérapie doit agir comme un réceptacle des sentiments et les renvoyer à quelque chose de vraiment significatif», explique le directeur de la Fondation pour l’enfance terre de paix. «L’approche psychanalytique pousse la personne à se focaliser sur le traumatisme en- foui et à travailler dessus en l’affrontant directement.»
Accent placé sur la formation
Ce programme sur l’art-thérapie et l’approche psychanalytique fait partie de tout un volet de formations mises en place par la Fondation pour l’Enfance Terre de Paix à l’intention de son personnel.
Accréditées auprès de la MQA, elles touchent aux domaines de la petite enfance ; de l’éducation spécialisée pour des enfants avec un problème de comportement ; des soins alternatifs – pour les organisations qui travaillent avec des enfants en situation d’abandon, pris en charge dans des centres alternatifs, le Learn through play, un condensé d’un des modules des programmes liés à la petite enfance et à l’éducation spécialisée.
À noter que la formation Learn through play est ouverte au public. Elle se fait en trois demi-journées pendant les vacances scolaires et coûte Rs 1 000 par participant. «Pour les autres programmes, nous serions disposés à travailler sur les demandes externes, avec accent sur les besoins spécifiques des demandeurs», précise Alain Muneean.
Du dessin aux émotions: une expérience profonde

Pour les participants, les sessions de formations animées par Kavi Vadamootoo ont abouti à des exemples concrets, dont plusieurs ont été évoqués lors de la session de partage du 10 février. Celle-ci a eu lieu au Centre d’éveil et de développement du jeune enfant et des parents de la Fondation pour l’enfance terre de paix, à Albion. Parmi les partages effectués :
Georges, employé à l’Atelier du Savoir, école spécialisée de Terre de paix
«Cette jeune fille de 14 ans venait me voir pour me raconter ses problèmes personnels mais je n’avais pas envie d’être confronté à cette colère, à cette douleur. Ma réaction initiale avait été de me dire que j’étais là pour m’occuper de ses problèmes d’apprentissage et non de ses problèmes personnels. La jeune fille avait un comportement violent que je ne parvenais pas à comprendre. J’ai tenté de la mettre face à ses émotions. Mais elle transférait sa colère sur moi. À travers le cours, j’ai appris à prendre plus de recul et à séparer cette colère de moi. Parfois, ses blessures rejoignaient les miennes et je n’arrivais pas à prendre de la distance. Nous avons commencé à travailler avec les dessins. Je lui ai demandé de dessiner son ressenti. À travers son dessin, elle m’a donné les clés de son univers émotionnel, elle était blessée, cassée, enragée. »
Melinda, du Centre d’éveil et de développement du jeune enfant et des parents «Les Mirabelles» à Flacq
«J’ai eu l’occasion de voir les résultats de l’art-thérapie en l’appliquant sur un jeune garçon. Si au début, il était silencieux et démontrait des signes d’angoisse, au bout de trois mois, il a commencé à s’ouvrir. Cela a commencé par une question sur les préparatifs de Noël. Il s’exprimait de manière assez plate, sans enthousiasme. Puis, un jour, il a dessiné ce qu’il a identifié comme étant un éléphant. En fouillant un peu plus, j’ai compris que l’éléphant représentait sa belle-mère. Il a dit qu’il souhaitait attacher l’éléphant, le battre et ne pas le nourrir. J’ai fini par comprendre que c’était le traitement que sa belle-mère lui infligeait. »
Estelle et Marie-Rose, du Centre d’éveil et de développement du jeune enfant et des parents de la prison de Beau-Bassin
«Nous avons commencé les séances d’art-thérapie avec les mamans détenues. Il était important que nous arrivions à ressentir la souffrance des personnes avant de commencer les séances. Il nous fallait ensuite nous détacher de cette souffrance. Ce qui nous a marqués, c’est de voir comment la souffrance des mères est transférée aux enfants. Nous avions aussi des séances avec les enfants et nous remarquions des fois que leurs dessins rejoignaient ceux de leurs mères. À travers ces bouts d’histoire, nous arrivions à comprendre comment ces femmes se sont retrouvées dans l’univers carcéral. Parfois, tout cela nous submerge. Alors, nous mettons ces sentiments en écrit dans des rapports confidentiels. Quand les mamans en détention doivent parler de leur vécu, nous entrons en terrain miné, un terrain où elles-mêmes ont refusé d’entrer pendant longtemps.»
Application d’une nouvelle méthode
C’est à travers Lindsey Collen que le Dr Kavi Vadamootoo entend parler de la Fondation pour l’Enfance Terre de Paix et décide de proposer ses services. «C’est lui qui est venu vers nous et nous tenons à lui adresser nos plus vifs remerciements», souligne Alain Muneean.
Le Dr Kavi Vadamootoo habite le Pays de Galles et revient tous les ans à Maurice pour cinq ou six mois. Fort de son expertise, le personnel des centres gérés par la Fondation pour l’Enfance Terre de Paix intègre petit à petit, auprès de ses bénéficiaires, les techniques de l’approche psychanalytique via l’art-thérapie.
Avant et afin de pouvoir faire bon usage des outils transmis, il était important que les personnes participant à la formation fassent elles-mêmes un certain travail intérieur, à travers des séances de psychothérapie de groupe sur une durée de 12 mois, renforcées par quelques ateliers de travail, précise le spécialiste.
Il ajoute qu’en plus d’aider les participants à accroître leur capacité d’empathie, le cours les aide à comprendre, à travers leur propre cheminement intérieur, que la compassion et l’amour ne suffisent pas dans le travail auprès de personnes en situation difficile et que leurs propres humeurs peuvent facilement empiéter sur ce qu’ils ont à offrir. L’humeur, pour lui, est la route principale vers l’inconscient et influe sur les relations que l’on tente d’établir avec les autres.
Il souligne aussi qu’une des spécificités de l’art en thérapie réside dans le fait que les bénéficiaires projettent leurs ressentis à la fois sur le médium artistique choisi et sur le thérapeute. Tandis que pour certains, il est plus aisé de projeter leurs émotions sur une activité artistique que directement sur le thérapeute.
À propos de l’organisation
La Fondation pour l’enfance terre de paix a été créée en 1979 afin de venir en aide à des personnes faisant face à des difficultés d’intégration sociale. Elle a ensuite évolué pour apporter un meilleur soutien aux habitants des régions vulnérables en répondant au mieux à leurs besoins. Au fil du temps, ses objectifs sont restés les mêmes : «Combattre la pauvreté et ses conséquences sur les personnes les plus vulnérables de la société, en particulier les enfants, sans discrimination et dans le respect des droits de l’enfant».
Parmi ses services, l’ONG propose à la fois des structures résidentielles d’accueil (les projets «Familles d’accueil», «Foyer pour jeunes» et «Maison d’accompagnement») et non résidentielles (les Centres d’éveil et de développement du jeune enfant et des parents de la prison de Beau-Bassin, d’Albion, de Grand-Baie, de Flacq et de La Valette, le projet «Atelier du savoir», le «Jardin d’éveil»)…
Source: Fondation pour l’enfance Terre De Paix: l’art-thérapie, réceptacle d’émotions enfouies