
C’est un mois d’intenses d’activités culturelles réparties sur 36 temps forts dans quelque 18 lieux que, du 28 mars au 28 avril, Rabat se prépare à vivre. La capitale du royaume chérifien va s’habiller de la lumière des cultures africaines à travers un programme riche, gratuit et accessible à tous. Expositions d’arts plastiques et d’objets du patrimoine, concerts de musique et projections de films, conférences et art urbain constituent les thèmes autour desquels Rabat entend faire découvrir cette Afrique, ces Afriques, que le roi Mohammed VI a mise au cœur de sa démarche d’ouverture, de promotion de la coopération sud-sud, de la fraternité et de la tolérance entre les peuples. C’est à Mehdi Qotbi, peintre et artiste marocain internationalement connu et reconnu qu’a échu l’honneur d’orchestrer ce banquet des arts africains. Il a répondu au Point Afrique.
Point Afrique: Quelle réflexion vous a conduit à imaginer cet événement que vous avez intitulé « L’Afrique en Capitale » ?
Mehdi Qotbi : Notre réflexion a tout simplement été initiée par SM le roi Mohammed VI. La réintégration du Maroc dans l’Union africaine, officialisée le 30 janvier dernier, représente un événement historique majeur pour le continent. Il était nécessaire d’envoyer un signal fraternel et culturel fort à tous les Marocains et à tous les pays africains. Sa Majesté a suggéré une manifestation multiculturelle qui pourrait avoir ce double impact symbolique, et présenter concrètement un large panorama de la création contemporaine africaine dans la capitale marocaine. Bien sûr, à partir de cette suggestion initiale, la Fondation nationale des musées a élaboré un programme cohérent après une réflexion artistique approfondie. C’est en particulier grâce au travail de toute l’équipe de la Fondation nationale des musées que nous avons pu imaginer et tisser les partenariats nécessaires à l’organisation de ces 36 événements.

Quelle est la place de l’Afrique aujourd’hui dans l’imaginaire marocain ?
Feue Sa Majesté le roi Hassan II disait « le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe ». La situation géographique du Maroc et son histoire politique font que les Marocains se sont nourris culturellement et linguistiquement de diverses influences étrangères. Par ailleurs, le Maroc a toujours constitué la porte d’entrée pour l’Afrique vers l’Occident et représentait un point de passage obligé dans le commerce transsaharien. Au fond, l’imaginaire berbère que l’on retrouve partout dans la trame culturelle marocaine est un produit authentique de l’africanité immémoriale. Ce creuset de l’hybridation arabo-berbère court de la rive atlantique à la mer Noire, du Maroc au Soudan. Le Maroc s’est toujours senti africain, et si certaines périodes de l’histoire ont pu tantôt le rapprocher, tantôt l’éloigner de ses racines, nous sommes incontestablement dans un moment de l’histoire où le Maroc revient vers ses racines africaines. C’est dans ce cadre que Sa Majesté le roi Mohammed VI a déclaré lors de son discours sur l’intégration du Maroc au sein de l’Union africaine « il est beau le jour où l’on rentre chez soi ». C’est un continent immense et merveilleux, aux cultures ancestrales et contemporaines fabuleuses. Le Maroc se doit de participer pleinement à sa fulgurante émergence culturelle.
L’événement « L’Afrique en Capitale » est fait d’un brassage d’arts et de thématiques en divers points de Rabat. Quelle est la trame philosophique et pratique de cette approche?
Le fil rouge, c’est l’insistance sur le contemporain, l’actuel, ce qui est en cours, le « work in progress » comme disent les Anglo-Saxons. L’Afrique n’est plus un projet pour demain, c’est une réalité d’aujourd’hui. La pertinence mondiale de la création africaine est une donnée, ce n’est déjà plus une hypothèse ou un souhait. La réunion de 36 événements artistiques en un mois à Rabat présente permet aux visiteurs d’avoir une vision transversale et synthétique des extraordinaires dynamiques créatives contemporaines de notre continent. En un mois, le patrimoine, le cinéma, les arts plastiques et bien sûr la musique africaine matérialiseront ce lien culturel et humain avec le reste de l’Afrique. La création contemporaine africaine n’est pas une, mais multiple, et toute approche de cette culture doit être foisonnante, pétillante et éclectique. Grâce au travail de nos 32 partenaires, le visiteur découvrira lui-même les synergies implicites qui se sont développées par-delà les frontières nationales, hier comme aujourd’hui.
« L’Afrique en Capitale » pour montrer les arts et la diversité culturelle de l’Afrique du 28 mars au 28 avril 2017, « Face à Picasso » du 19 avril au 31 juillet : que traduisent ces deux événements dans la prise en main de la chose culturelle au Maroc ?
Je ne crois pas que la juxtaposition de ces deux événements d’ampleur internationale n’est qu’un heureux hasard. Au contraire, grâce au formidable élan que donne Sa Majesté le roi Mohammed VI au développement artistique marocain, le pays est en train de vivre un renouveau culturel dont tous peuvent témoigner. Sa capitale, en particulier dans le cadre du programme « Rabat, ville lumière, capitale marocaine de la culture », subit des transformations gigantesques de son paysage créatif. Ces deux événements ne sont en réalité que la partie émergente de l’iceberg culturel marocain, qui illustre bien la grande vague de fraîcheur que connaît le tissu créatif et institutionnel africain. Le Musée Mohammed-VI fut une première étape cruciale de cette politique, le nouveau théâtre de Rabat en sera une seconde tout aussi marquante.

Au-delà de l’ouverture tous azimuts du Maroc avec des expositions prestigieuses proposées un peu partout à travers le monde, quelle place occupe la culture dans les villes et villages du royaume aujourd’hui ?
L’action culturelle marocaine se traduit par de grands événements internationaux à travers le monde, comme peut l’illustrer l’action de la Fondation nationale des musées à travers les expositions « Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne » au musée du Louvre en 2012, l’exposition « Maroc-Russie, une histoire antique partagée » au musée Pouchkine de Moscou en 2014, ou encore l’exposition « Trésors des musées du Maroc » à Abu Dhabi en 2014. L’action culturelle est également très visible dans nos grandes villes comme Rabat, Marrakech, Tanger ou Fès, où fleurissent les centres culturels, les musées, les espaces de concerts et les galeries d’art contemporain. La fondation nationale des musées a entrepris par exemple de grands travaux de rénovation dans les musées dont elle a la tutelle, et le musée de Tanger a déjà rouvert flambant neuf. Les espaces plus isolés ont naturellement moins accès à ces retombées, comme les villages éloignés des métropoles ou comme certains quartiers périphériques des villes. Mais la culture ne se réduit pas à l’action culturelle ou aux événements artistiques. Les traditions populaires, linguistiques, artisanales ou religieuses représentent une richesse culturelle immense et encore très vivante sur tout le territoire marocain à travers de nombreux festivals populaires qui connaissent une affluence extraordinaire. Au-delà des initiatives culturelles d’envergure internationale, il y a une culture de proximité encouragée par l’action résolue de Sa Majesté, tant dans le monde rural que dans les périphéries urbaines où la Fondation Mohammed-V pour la Solidarité ou l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain) jouent un rôle formidable.
Les ambitions économiques et politiques du Maroc s’inscrivent dans une parabole panafricaine aujourd’hui. Que peut-on dire de son ambition et de ses desseins culturels?
L’ambition est grande et le dessein est beau ! Preuve en est le discours de Sa Majesté le roi, prononcé à l’occasion du 28e sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba: « Il est temps que les richesses de l’Afrique profitent à l’Afrique (…) l’Afrique peut être fière de ses ressources, de son patrimoine culturel, de ses valeurs spirituelles et l’avenir doit porter haut cette fierté naturelle. » On peut dire que Rabat porte aujourd’hui cette ambition culturelle panafricaine. Savez-vous qu’il y a un peu moins de 20 000 étudiants africains au Maroc, dont une grande partie est à Rabat ? L’ambition africaine de la capitale n’est pas nouvelle, le festival phare de la ville consacre une scène à la musique africaine, et le festival Rabat Africa est dédié à diverses expressions artistiques. Le Maroc doit jouer un rôle moteur pour que le continent puisse porter la fierté de ses cultures et actualiser ses racines immémoriales.
Source: « L’Afrique n’est plus un projet pour demain, c’est une réalité d’aujourd’hui »