Port

Entre 2007 et 2017, l’Afrique a vu ses volumes d’échanges commerciaux multipliés par quatre ; une progression spectaculaire qui doit beaucoup à la montée en puissance des ports africains et qui n’a pas échappé aux principaux Etats concernés, indique une étude de Proparco (la filiale de l’Agence française de développement (AFD) dédiée au secteur privé).

Dans ce rapport, intitulé « Le secteur portuaire en Afrique : plein cap sur le développement », Clément Seka Aba, docteur en droit spécialisé dans les affaires maritimes et portuaires, rappelle que les politiques actuelles de développement considèrent les ports maritimes comme des infrastructures de transport essentielles, qui conditionnent l’émergence des pays africains. Et pour cause : plus de 80 % du commerce extérieur de ces pays, y compris ceux dépourvus de façade maritime, transite aujourd’hui par les ports du continent.

Opérateurs privés

Pas étonnant dès lors que de plus en plus d’acteurs non étatiques cherchent à capitaliser sur cette tendance lourde: Maersk, MSC, CMA CGM, DP World, Bolloré… Tous les grands opérateurs maritimes mondiaux sont aujourd’hui présents sur le continent. Paul Tourret et Camille Valero, de l’institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR) de Nantes rappellent pour leur part, dans une autre étude, que l’investissement portuaire a représenté 50 milliards de dollars en Afrique subsaharienne au cours de la dernière décennie.

Pour eux, « la présence des principaux acteurs du secteur et d’investissements conséquents explique en partie la multiplication de projets portuaires gigantesques […]». Lamu, au Kenya, un mégaprojet à près de 20 milliards de dollars, devrait par exemple relier par voie ferrée l’océan Indien au Golfe de Guinée mais il y a aussi Bagamoyo, en Tanzanie, ou Technobanine, au Mozambique. Des initiatives qui ont pour point commun de viser les marchés intérieurs des pays enclavés, avec de grands axes ferroviaires allant des ports nouveaux vers les pays des Grands lacs et vers l’Afrique australe, notamment.

Dans leur analyse, les deux chercheurs constatent également que les opérateurs et bâtisseurs d’ouvrages portuaires présents en Afrique sont « tous sont des groupes étrangers au continent ». Une donne qui devrait néanmoins amener à être changée car la modernisation actuelle des ports africains, en contribuant au développement du continent, « favorisera l’émergence d’outils économiques qui seront, à terme, pris en mains par des acteurs locaux », estiment nos experts. La Sealink, un projet  de compagnie maritime panafricaine, porté notamment par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en constitue une bonne illustration.

Interface avec l’économie mondiale

Tirant les enseignements de cette étude, Iskander Ezzerelli et Anis Zerhouni, chargés d’affaires aux divisions « Énergie et Infrastructures et Portefeuille » de Proparco estiment pour leur part que les grands ports africains, véritables portes du continent, se doivent d’assurer une bonne interface avec l’économie mondiale. Une tâche de longue haleine : l’Afrique à beau disposer d’une population de plus de 1,2 milliard d’habitants (un sixième de la population mondiale), son poids dans le commerce international demeure pour l’heure modeste avec 3 % du total mondial des échanges en 2014, contre 37 % pour l’Europe. Les obstacles au développement des ports africains sont il est vrai nombreux : manque de fluidité au sein des infrastructures portuaires, vétusté des réseaux de transport qui connectent les ports… Des goulots d’étranglements qui allongent les délais d’acheminement et renchérissent, par rapport aux niveaux mondiaux, les coûts de transport. Pourtant, une profonde mue s’opère dans le secteur portuaire depuis vingt ans en Afrique, reconnaissent  les deux spécialistes.

« Alors qu’il y a quelques années, les porte-conteneurs les plus imposants ne mouillaient jamais au large des côtes africaines, il n’est désormais plus rare de voir s’amarrer des géants des mers de 7 000 à 9 000 conteneurs, et ce grâce à des tirants d’eau toujours plus importants (jusqu’à 16 mètres pour certains ports). Les ports africains ne peuvent certes pas encore accueillir des mastodontes de 18 000 conteneurs mais la dynamique est aujourd’hui positive », relèvent-ils. Toutes ces avancées sont dues à de multiples facteurs, parmi lesquels la généralisation de la conteneurisation des marchandises en Afrique. Ainsi, explique-t-on, entre 2009 et 2014, le port de Lagos au Nigéria a vu sa capacité d’entreposage de conteneurs grimper de 134 %. En outre, notent nos analystes, l’intervention du secteur privé, via la création de partenariats public-privé et la multiplication des mises en concession, joue un rôle décisif dans cette dynamique de développement – à condition, toutefois, que le cadre juridique qui encadre ces processus trouve des formes appropriées, rappelle Clément Seka Aba. Point important, soulignent Iskander Ezzerelli et Anis Zerhouni, le basculement des échanges commerciaux vers l’Asie est indéniablement l’une des grandes dynamiques qui bouleversent la donne en Afrique. « La Chine multiplie les investissements, dans le cadre de la construction d’une Nouvelle Route de la Soie qui comprend des volets terrestre et maritime visant à créer un véritable maillage planétaire », affirment les deux experts, pour qui l’Afrique, aux potentialités humaines et économiques encore insuffisamment exploitées, se trouve au cœur de cette stratégie chinoise dans laquelle les ports ont une place de choix.

Source: Les ports, clé de l’avenir économique africain