David Adjaye: l’architecte africain.

D’origine ghanéenne, David Adjaye a grandi en Afrique, fait des études à Londres et ouvert un cabinet à New York. C’est de là qu’il parcourt le monde pour réaliser des œuvres architecturales appréciées. Le musée de l’histoire et de la culture afro-américaines est la dernière station d’un parcours qui s’allonge au fil des ans. Portrait!

David Adjaye pouvait-il rêver meilleur anniversaire? Il est à parier que non tant le destin y est allé de son grain de sel. Prévu pour être inauguré en 2015, c’est finalement cette année que le musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines a été ouvert au public. C’était le 24 septembre dernier. Une occasion qui a permis au public de découvrir œuvre architecturale de celui-là que l’on ne présente plus tant ses travaux sont connus dans nombre de recoins de la planète qu’il n’a pas, aime-t-il à rappeler, fini de parcourir et de façonner avec tout le talent qui est le sien. D’Oslo à New York en passant par Accra, Lagos ou Denver et donc Washington en effet, ce fils de diplomate ghanéen a laissé sa griffe sur des bâtiments qui comptent. Une griffe forgée à l’école d’architecture de Londres, où il a étudié, et mâtinée de cette Afrique qui lui colle à la peau et dont il n’a aucune raison de s’en départir.

«Mes parents m’ont en quelque sorte élevé comme s’ils me préparaient au monde que nous avons hérité et dans lequel nous vivons actuellement. Cela constitue la toile de fond de mon approche du design, qui cherche à être hautement sensible à l’armature culturelle des différents peuples.»

L’Afrique, Adjaye a appris à la découvrir très tôt du fait des affectations de son père. Ce Ghanéen après avoir vu le jour à Dar Es Salam un jour de 1966, a ainsi été tour à tour en Ouganda, au Kenya, en Égypte ; avant de découvrir le Yémen, le Liban et l’Arabie saoudite. Une trajectoire qu’il analyse a posteriori en ces termes «Mes parents m’ont en quelque sorte élevé comme s’ils me préparaient au monde que nous avons hérité et dans lequel nous vivons actuellement. Cela constitue la toile de fond de mon approche du design, qui cherche à être hautement sensible à l’armature culturelle des différents peuples.»

Voyage initiatique

Et ce n’est pas que des paroles en l’air. Il y a un peu plus de quinze ans, il a commencé une sorte de voyage biographique selon ses termes, mais en fait initiatique, sur le continent qui l’a vu naître. Une odyssée qui l’a mené dans les 53 capitales d’alors où il voulait «se remettre ces lieux en mémoire» avec le procédé suivant qu’il a décrit chez nos confrères de la revue Architectural Record: «Je louais une voiture avec chauffeur et je passais quelques jours, une semaine, voire deux, à explorer une ville. Je vivais jour et nuit avec le chauffeur, donc nous finissions toujours par devenir amis. Nous roulions jusqu’à ce que nous ayions épuisé le lieu. Quand je sentais que je ne pouvais plus prendre des photos, j’arrêtais.» Il ainsi amassé un matériau de première main qui n’a pas que servi à publier un livre paru en 2011 chez Rizzoli sous le titre African Metropolitan Architecture.

Une vue du musée de Washington.
Une vue du musée de Washington. Crédit photo: This is Africa.

Et puis vint cette année 2009 où il remporta haut la main l’appel d’offres pour la construction du musée consacré aux Africains-Américains, un vieux projet de plus de cent ans; depuis au moins la création, en 1915, de la «commission des citoyens de couleur», qui envisageait, déjà, un monument célébrant leur contribution à l’histoire américaine. A la suite de cette victoire qui allait contribuer à l’installer définitivement au firmament des architectes qui comptent dans le monde, il racontait ainsi sa vision du chantier à venir: «D’une certaine manière, nous avons conçu cet immeuble comme une sorte de point culminant, d’articulation, d’assemblage qui va constituer un pont entre le National Mall et le Washington Monument. Suivant la sensibilité du plan d’ensemble, cela est le point critique à partir duquel nous allons nous assurer que notre immeuble n’est pas juste un building de plus, mais un building qui va terminer l’allée et entamer le Washington Monument. C’est en réalité un lieu de disjonction entre les deux».

Direction l’avenir

Le 24 septembre dernier, le public a donc pu admirer cette prévision et se rendre compte de la signification d’un bâtiment historique dont la forme suggère la mobilité selon son auteur. Une sorte de ziggourat, aux dires mêmes d’Adjaye, «qui rentre dans le ciel plutôt que de s’enfoncer dans le sol. Et qui plane au-dessus du sol». A regarder l’immeuble, l’on s’aperçoit en effet qu’une lévitation gagne certaines de ses parties, un peu comme si l’histoire africaine-amércaine avait encore du chemin à faire pour se fondre dans la grande histoire de ce pays-continent. Une histoire d’un peuple longtemps relégué à une périphérie dénigrante alors même que les Africains-Américains, au même titre que d’autres peuples des Etats-Unis, ont contribué à donner à ce pays sa force et son rayonnement planétaire.

Il est plus que temps de nous penser en termes culturels plus qu’en termes de pays. Notre avenir en dépend. En très grande partie. En attendant, l’Afrique doit, selon Adjaye et pour ce qui est de l’architecture, penser aux infrastructures au sens large.

Nul doute qu’après ce projet qui a duré plus de cinq ans, Adjaye s’en retournera, depuis son cabinet de New York, gratifier de son savoir un continent qu’il aime à découper en six grandes aires géographiques : la savane, le désert, le Maghreb, la forêt, le sahel et la montagne. Des aires qui déterminent les formes de culture qui y prennent place et qui conseillent aux leaders africains, selon Adjaye, de ne pas penser le continent en termes de pays car cela «est parfait quand il s’agit de politique et de gouvernance, mais cela n’est pas d’une grande utilité lorsqu’il s’agit de culture». C’est en cela, nous semble-t-il, que ce musée de Washington consacré aux Africains-Américains, doit parler aux Africains du continent. Il est plus que temps de nous penser en termes culturels plus qu’en termes de pays. Notre avenir en dépend. En très grande partie. En attendant, l’Afrique doit, selon Adjaye et pour ce qui est de l’architecture, penser aux infrastructures au sens large. «Pas seulement de routes, mais aussi de bâtiments publics». Ce qui tombe bien car beaucoup de pays sont en train de réfléchir à délocaliser leurs capitales politiques où «l’architecture [pourra] les aider à établir un lien avec les citoyens».