
Le nouveau manifeste de Chimamanda Ngozi Adichie est un manuel d’éducation féministe en 15 suggestions À lire le 8 mars (de 2017 à… 2077!).
« Tu crois à l’égalité pleine et entière entre les hommes et les femmes ou tu n’y crois pas. » Pas de demi-mesure, pas de « féminisme light » pour l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, qui avait déjà proclamé « we should all be feminist » (traduit avec optimisme par Nous sommes tous des féministes chez Gallimard) dans un manifeste paru l’an dernier. Avec Chère Ijeawele, elle joue le pragmatisme : cette lettre remaniée en court livre répond à la sollicitation d’une amie qui lui demandait comment donner une éducation féministe à sa petite fille. L’auteur de Americanah, forte de ses expériences de babysitter, de tante, et surtout d’une réflexion mûrie sur le thème, de notes en conférences, s’est sentie prête à lui écrire « une lettre qu(« elle)souhaitai(t) sincère et pragmatique », confie-t-elle dans la préface. Où, en passant, elle annonce être devenue elle-même la mère d’une « délicieuse petite fille ».
En quinze suggestions, l’écrivaine invite chacune, dès le berceau, à saisir la chance d’être une femme. Et à la cultiver. Si elle s’adresse à une compatriote, on sent que l’auteure tient compte de la culture igbo, d’où elle est issue, sans pour autant s’y enfermer. Nous avons extrait douze citations de cet opus :
« Être féministe, c’est comme être enceinte »
« Refuse, je t’en prie, l’idée selon laquelle la maternité et le travail seraient incompatibles. »
« Parce que tu es une fille ne sera jamais une bonne raison pour quoi que ce soit, jamais. »
« Savoir cuisiner n’est pas une compétence préinstallée dans le vagin. »
« Être féministe, c’est comme être enceinte. Tu l’es ou tu ne l’es pas. »
« Apprends-lui à aimer les livres. (…) Si rien d’autre ne marche, paie-la pour lire. »
« Un mariage peut être heureux ou malheureux. Mais ce n’est pas un accomplissement. »
« Toute femme devrait avoir le droit de garder son nom. »
« Au lieu d’apprendre à Chizalum à plaire, apprends-lui à être sincère. Et bienveillante. »
« Essaie de ne pas associer ses cheveux à la souffrance. »
« Les femmes doivent se couvrir pour protéger les hommes. Je trouve cela profondément déshumanisant. »
« Apprends-lui que ce n’est pas le rôle d’un homme de subvenir à ses besoins. »
« Éduque-la à la différence (…), tu lui donnes les moyens de survivre dans un monde de diversité. »

Relire bell kooks
Dans ce dernier livre, l’auteure écrit de son propre parcours : « J’ai récemment pris conscience que le sexisme me met plus en colère encore que le racisme. » Et : « Nous les féministes, nous utilisons parfois trop de jargon. » En complément de ces aveux, on ne saurait conseiller meilleure lecture complémentaire que ce volume d’essais de bell hooks (pseudonyme sans majuscule de Gloria Watkins, née en 1952) tout juste arrivé en librairie : De la marge au centre, théorie féministe. L’auteure de Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme y revisite le mouvement féministe et ses enfermements en appelant à un féminisme de masse. Ses réflexions sont une intéressante façon de mettre à distance les différents types de combats : Chimamanda Ngozi Adichie, traduite dans toutes les langues, a fait faire un sacré bond à la lutte pour l’égalité des sexes dans son précédent opus (cité par Beyoncé) et celui-ci vient l’ancrer dans une réalité quasi quotidienne des femmes. Mais ce combat féministe qui touche le plus grand nombre n’est pas du goût de tous… Un de ses lecteurs nigérians le lui a récemment reproché !
Mon mari et moi
Le monde est divers, la condition de la femme aussi, et de Lagos à Baltimore, les cas ne sont pas similaires… Mais d’où que l’on soit apprendre à « questionner les mots » autre conseil prodigué pour une éducation féministe, par Chimamanda à son amie est valable ! Il semble avoir été pris au mot (et n’est-ce pas le rôle de tout écrivain ?) par Élisabeth Jacquet, qui a jeté son dévolu sur l’un des plus universels qui soient : « mari ». Son livre Mon mari et moi accumule d’une voix (on l’entend presque) doucement étonnée les interrogations d’une Occidentale sur son statut d’épouse (tout en avouant ne pas pouvoir parler de son mari comme de son époux). Une série de variations amusantes, bien troussées et fort instructives que l’on pourra, aussi, glisser dans un rayonnage de la bibliothèque des 8 mars !
« Chère Ijeawele ou un manifeste pour une éducation féministe » de Chimamanda Ngozi Adichie, traduit de l’anglais par Marguerite Capelle, éditions Gallimard, 8,50 euros.
« De la marge au centre théorie féministe » de bell hooks, traduit de l’anglais (États-Unis) par Noomi B.Grüsig, éditions Cambourakis, 22 euros.
« Mon mari et moi », petite exploration conjugale d’Élisabeth Jacquet, Serge Safran éditeur, 14,90 euros.
Source: Tu seras féministe, ma fille !