À 22 ans, cette timide jeune femme vient de percer le mystère du rap féminin français. Loin des clichés de ses contemporaines, son style est minutieusement étudié. Et ça commence par un style vestimentaire streetwear féminisé : jean, basket, deux nattes dites « collées » hyper-stylées, sans chichi, elle débarque paisiblement, raconter son histoire.

Elle, c’est Sianna (Anaïs, son vrai prénom » en verlan) rappeuse de son état. Et depuis peu, princesse des rimes ou « punchlines » tour à tour ego-trip et mélancoliques, digne d’une reine qu’elle respecte religieusement Diam’s. Vient de paraître dans les bacs son premier album Diamant noir, en hommage donc, et comme la rappeuse désormais en retrait de la scène, elle parle à la jeunesse de son époque fière, mais parfois si désœuvrée : « Déjà tout p’tit on voulait tout faire. On n’a rien gagné, on a tout perdu. On rentrait de l’école, on était tout fier. Maintenant, c’est la nuit que l’on arpente les rues. On n’a rien raté, on était du-per. Maintenant, mon ambition a pris du poids. On a beaucoup parlé, on aurait dû s’taire. J’ai grandi, j’ai appris mais ça a pris du temps. » Sianna, Franco-Malienne, née à Bamako, adoptée à huit mois par un couple de Français, n’est jamais retournée sur son continent natal, mais se transfigure littéralement sous nos yeux, à l’évocation du simple vocable « Afrique ». Énorme sourire chez elle, le bon moment pour nous dévoiler sa bouleversante histoire, son actualité musicale et ses liens avec le continent africain.

Pourquoi ce sourire lorsqu’on parle d’Afrique…

Sianna : Je ne saurais même pas vous expliquer le pourquoi du comment (rire). Mais venant de la diaspora, on est fier de représenter le continent africain aux yeux des gens. Mes amis viennent de tous horizons, du Vietnam au Sénégal, ou le Maghreb, parce que pour moi il n’y a pas de distinction, et même les gens qui séparent le Maghreb du reste du continent africain ont tort, car c’est un seul et même continent.

Ce que j’en retiens, c’est que l’Afrique déteint finalement sur beaucoup de gens. Quand tu vois le dynamisme dans la culture, la gastronomie, la mode, la cuisine, les idées reprises dans le monde actuellement, ça ne peut que déteindre sur toi. Et donc, même en étant loin, j’ai appris à m’intéresser au continent et en quelque sorte à garder des liens avec l’Afrique, et le Mali mon pays d’origine.

Mais vous suivez l’actualité du continent africain ?

C’est toujours les mêmes problèmes en Afrique : la corruption, les biens mal-acquis, les jeunes abandonnés… c’est compliqué, et ce sont des débats sans fin, je crois que je peux le dire comme ça. Parce que pour une partie de ces problèmes, ces conlits, ces guerres, la vérité, c’est qu’on connaît les sources. On sait pourquoi depuis la colonisation jusqu’à l’indépendance, pour certains pays ça ne change pas. Mais personne ne veut mettre fin à tout cela. C’est pourquoi j’en parle dans mes textes, peut-être que la diaspora devrait s’engager encore plus sur des projets là-bas. Mais globalement, je me dis qu’il est temps que l’Afrique profite pleinement de son indépendance, et plus qu’un autre continent lui dicte sa manière d’évoluer ou pas.

Comment parler de l’Afrique, sans n’y être jamais retournée…

Dans un de mes textes, Cœur orphelin, j’écris : « Bonjour mon Afrique, je n’ai pas eu le temps de te connaître. Mais je reviens très vite et ça, je peux t’le promettre. (…) Si ça se passe mal, dans quelques années je repars. Dans tous les cas, ils sauront que je viens d’ici. Car c’est inscrit sur ma peau, j’ai l’Afrique comme édifice. » Justement, c’est une manière de dire qu’on est là, et qu’on doit donner, faire plus pour l’Afrique. Moi, je n’y suis jamais retournée, mais j’apprends à connaître le continent à travers mes amis, mes proches, les gens que je rencontre, la mixité autour de moi, l’actualité, les témoignages, tout ça donne de la matière à mes textes qui sont engagés. Moi, je dis que je côtoie l’Afrique tous les jours. Peu importe où nous sommes, on garde l’Afrique en nous.

La scène musicale africaine vous inspire-t-elle ?

Sans même travailler avec des artistes du continent, je me suis beaucoup rapprochée de ceux de la diaspora, et j’écoute énormément de musique africaine. J’aime particulièrement, les artistes nigérians Burnaboy, Wizkid, Yémi Alade, etc. L’Afrique est en moi, il y a quelque chose qui est resté, malgré que je l’aie quittée tôt. Ou justement est-ce parce que je l’ai quittée tôt que du coup les liens sont encore plus forts. Je n’en sais rien sauf que j’adore.

Y a-t-il des artistes africains avec lesquels vous souhaitez collaborer ?

Le must du must pour moi des producteurs avec lesquels j’aimerais travailler pour aller en Afrique, c’est Maître Gims, Soprano. Ils font de nombreuses tournées sur le continent. Mais finalement, peu importe la personnalité, je pense que faire une scène en Afrique serait génial, j’en serais très heureuse.

Quand les premières stars africaines comme les P-Square ont signé aux États-Unis, et d’autres ont suivi, j’ai trouvé cela génial. Il y a cette vivacité de la scène musicale africaine qui du coup impacte beaucoup la diaspora. Et on regarde ça de près…

Vous avez, au vu de vos textes, des engagements politiques ?

Non. Mais récemment, j’ai vu des migrants arriver dans ma ville (Beauvais), ils ont été laissés pour compte, et ça m’a désolée de voir cela. Les gens passaient à côté pour aller se restaurer, juste à côté de tentes dressées et j’ai décidé d’aller aider un peu en fournissant couvertures, nourritures et soins en particulier. Ce n’est pas un engagement politique, mais je ne crois pas qu’en France, pays riche, on puisse laisser, les migrants, ou même les gens consciemment dormir dehors alors qu’il y a plein d’écoles, de gymnases vides… (elle secoue la tête) ça ne devrait pas exister et cela m’affecte beaucoup.

Source: Sianna : « Aussi africaine que française »