«Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible» – Jomo Kenyatta.

Kamau Wa Ngengi, mieux connu sous le nom de Jomo Kenyatta, a été militant indépendantiste, père du nouveau Kenya émergent, avant de devenir le premier président de la république indépendante. Issu de l’ethnie Kikuyu, la plus importante du pays, pour laquelle il a longtemps lutté pour sauvegarder les intérêts, il est finalement montré du doigt et accusé de perpétuer l’héritage colonial. Ses convictions, moteurs de son ambition, lui ont ouvert des opportunités certaines, nécessaires à la renaissance de son pays. Il laisse cependant à sa mort une image de tyran corrompu, à la solde des anciennes puissances coloniales.

Né le 20 octobre 1894 à Gatundu, en territoire Kikuyu, Kamau Wa Ngengi débute une formation d’apprenti charpentier à Thogoto, chez des missionnaires presbytériens. Il se convertit au christianisme en 1914 et devient John Peter Kamau, qu’il changera pour Johnston Kamau, avant de devenir en 1938 Jomo Kenyatta, en référence à une ceinture qu’il portait. Après avoir roulé sa bosse de ville en ville à la recherche de travail et surtout afin d’échapper au recrutement forcé des hommes Kikuyu, Kenyatta atterrit à Nairobi, où il occupe un poste à la municipalité et embrasse ce qui deviendra le fil conducteur de sa vie : la politique.

 

Les débuts en politique

En 1924, Kenyatta intègre le KCU (Kikuyu Central Association), un parti politique dirigé par James Beuttah et Joseph Kangethe, au sein duquel il débute sa carrière politique. Il gravit rapidement les échelons et, après avoir occupé le poste de secrétaire du parti, il devient l’éditeur du journal du KCU, le «Mwigwithania» (le réconciliateur).

Charmés par ses talents d’orateur et sa plume engagée, les dirigeants du parti décident de l’envoyer en Grande-Bretagne, afin de plaider la cause de son peuple. Prolifique et révolté, il publie plusieurs articles dans des médias anglais, prônant la restitution des terres aux Africains et relatant les troubles que connaît son pays. Après un bref retour au Kenya, il est de nouveau envoyé en émissaire en Grande-Bretagne, afin de plaider à nouveau la cause kenyane auprès du bureau colonial, sans toutefois remporter le succès escompté. Il décide alors de rester en Europe et de reprendre ses études.

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Le Président Jomo Kenyatta © https://www.joburgpost.co.za

Durant cette période, Kenyatta parcourt l’Europe et écrit de nombreux articles, ainsi que l’ouvrage Facing Mount Kenya en 1938, dans lequel il critique l‘agression coloniale au Kenya et les changements imposés à son peuple. Avec l’aide d’autres leaders africains, il organise le 5e congrès panafricain qui se déroule à Manchester, en 1955, et qui réunit des leaders et des intellectuels noirs du monde entier. Les slogans de cette manifestation sont «Freedom now» et «Africa for Africans».

En 1946, il retourne au Kenya, où il prend la tête du KANU, avant de débuter une opération de sensibilisation des Kenyans à la nécessité d’acquérir des terres et d’obtenir leur indépendance. Cette même année, des extrémistes kikuyu, galvanisés par un sentiment d’injustice sociale et un désir de récupération de leurs terres, se révoltent et revendiquent la restitution de leurs biens.

La révolte Mau Mau

En 1952, la révolte Mau Mau s’embrase et la violence prend le dessus. Les attaques visent les colons et leurs collaborateurs, dont les promesses tardent à être respectées, et le mouvement se généralise à toutes les tribus. Très vite, le groupe comprend 30 000 membres et l’état d’urgence est alors déclaré. L’armée britannique répressive réussit à endiguer la révolte et procède à l’arrestation de nombreux leaders, dont Kenyatta, qui n’avait pourtant jamais été extrémiste. Il est jugé et condamné à sept années de prison, à Lokitaung, ainsi qu’à être confiné à vie dans la ville de Lodwar.

En 1960, le «Release Jomo Committee» est créé par Ambu Patel, un proche de Mahatma Gandhi. Des manifestations sont organisées et une pétition rassemblant plus d’un million de signatures est présentée au gouverneur. Kenyatta est réélu président du KANU, alors qu’il est absent. Un an plus tard, il est finalement libéré, les autorités britanniques espérant ainsi s’appuyer sur des leaders modérés, afin de préserver leur influence dans leurs anciennes colonies.

L’indépendance du Kenya

Kenyatta représente le KANU lors des conférences de Lancaster House, à Londres, où le futur du Kenya est à l’ordre du jour. Il participera d’ailleurs à l’élaboration de la constitution du Kenya libre.

En mai 1963, le KANU remporte les élections et Kenyatta devient Premier ministre en juin. Deux mois plus tard, il entame une politique de réconciliation et annonce aux colons qu’ils peuvent rester au Kenya en toute sécurité, demandant aux Kenyans de «pardonner, mais de ne pas oublier». Ce discours est une surprise pour les colons qui s’attendaient à des représailles de la part de Kenyatta.

Le 12 décembre 1963, le Kenya devient un état indépendant et Kenyatta est élu président de la République un an plus tard.

Présidence du Kenya

Kenyatta écrit sa biographie «Suffering without bitternes » et la publie en 1968. Il révèle alors sa politique : cohésion entre les différentes tribus kenyanes, adoption d’une politique capitaliste, ouverture aux investisseurs étrangers. Les radicaux du parti, souhaitant adopter une politique socialiste, créent alors le KPU (Kenya People’s Union) en 1966. Il est dirigé par Oginga Odinga, originaire de la tribu des Luo.

À la suite de l’assassinat de Tom Mboya, un collaborateur luo de Kenyatta, une discorde survient entre les Luo et les Kikuyu, conduisant au bannissement du KPU. Le KANU devient ainsi le parti unique en 1969.

Sous la présidence de Kenyatta, le Kenya connaît une croissance économique fulgurante avec l’émergence de plusieurs secteurs clés. Il révèle à la face du monde le patriotisme dont il fera son cheval de bataille, combattant pour l’union du peuple kenyan et pour le pardon à l’égard des colons. Il réussit à collaborer avec toutes les puissances en cette période de guerre froide, comprenant très tôt les principes de base de la diplomatie, essentiels pour le développement de son pays.

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Jomo Kenyatta et son fils Uhuru © https://twitter.com

Vers la fin

De nombreuses critiques lui sont adressées concernant sa politique, lui reprochant sa dictature ainsi que son statut d’homme de paille, complice de la Grande-Bretagne. Des critiques confirmées, selon ses détracteurs, par un article dithyrambique de The Economist, publié en 1965 et intitulé «Notre homme au Kenya», qui le félicite pour ses propos sévères à l’encontre des Mau Mau.

Kenyatta meurt en 1978, laissant Daniel Arap Moi prendre sa succession. Depuis le 4 mars 2013, son fils Uhuru Kenyatta dirige le pays, mais sa réélection en 2017 face à Raila Odinga est entachée de soupçons de fraude. Jomo Kenyatta reste dans la mémoire du peuple kenyan le père de l’indépendance et malgré les critiques, il a réussi à développer l’économie de son pays, faisant de ce dernier le Kenya que l’on connaît aujourd’hui.