Babacar Mbaye Diouf

Il n’en a pas l’air sous ses dehors d’homme calme et tranquille de 34 ans, mais Babacar Mbaye Diouf, artiste peintre présent à l’exposition « Trésors de l’islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar », est aussi un karatéka qui a représenté son pays, le Sénégal, à plusieurs reprises dans des compétitions internationales. Autre particularité : ce professeur des Beaux-Arts conjugue sa foi musulmane et son adhésion à la philosophie soufie d’un islam tolérant avec sa passion de l’art. Diplômé des Beaux-Arts de Dakar et titulaire d’un master II à l’Institut supérieur des arts et des cultures (Isac) de Dakar, Babacar Mbaye Diouf a été récipiendaire de plusieurs prix décernés par l’ambassade d’Italie et par différents ministères et agences.

Après différents lieux au Sénégal, Babacar Mbaye Diouf entame sa carrière internationale en 2010 lors de sa sélection à la Biennale de Dakar en off. Cela va le conduire, en 2014, à participer, toujours en off, à la grande exposition « Imago Mundi » de la Collection Luciano Benetton. En 2016, sa participation en sélection officielle et en off – présentée par la Galerie africaine – l’a fait remarquer au point d’être choisi pour exposer à l’Institut du monde arabe à Paris dans le cadre des « Trésors de l’islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar », exposition qui se tient à Paris jusqu’au 30 juillet 2017. Selon la Galerie africaine qui l’accompagne, il réalise ses œuvres la plupart du temps au feutre très fin sur des feuilles de papier tirées d’un carnet et marouflées côte à côte sur de grandes toiles ou directement sur le tissu. Celles-ci sont « singulières et méticuleuses, généralement monochromes ». Elles sont pourtant d’une infinie variété qui exige un regard attentif pour être décryptées. Pour en aider la meilleure compréhension, Babacar Mbaye Diouf s’est confié au Point Afrique.

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Babacar Mbaye Diouf devant l’une de ses œuvres exposées à l’IMA dans le cadre des « Trésors de l’islam de l’Afrique, de Tombouctou à Zanzibar ». © BMD

Le Point Afrique : Que pouvez-vous nous dire du musulman que vous êtes ?

Babacar Mbaye Diouf : Je suis un jeune artiste sénégalais musulman et fier de l’être. Pour moi, c’est une chance d’être éduqué à travers des valeurs religieuses. Au Sénégal, nous avons un islam à dominante confrérique propagé par des marabouts et maîtres soufis, pour le respect des préceptes religieux, de l’amour de Dieu et de son Prophète (paix sur lui).

Quel écho le titre de l’exposition « Trésors de l’islam en Afrique » a-t-il eu en vous quand vous en avez eu connaissance ?

Le titre de l’exposition est en droite ligne avec certaines de mes préoccupations artistiques en ce sens que je m’inspire des signes qui ont permis à l’humanité d’écrire son histoire et de léguer son message à la postérité. C’est lors de ma sélection en expo In du Dak’Art 2016 et en off avec la Galerie africaine dirigée par Aude Minart que l’Institut du monde arabe s’est intéressé à mon travail.

Pourquoi, à votre avis, une telle exposition vient-elle à son heure dans une ville comme Paris et au sein d’une entité aussi prestigieuse que l’Institut du monde arabe ?

Cette exposition vient confirmer les richesses incontournables de la religion musulmane en tant que civilisation. On nous montre jour et nuit la face d’un islam intolérant, violent et radical. Or, cette religion, en réalité, ne prône que la paix, l’harmonie et le respect de l’humain. Pour moi, l’art est un vecteur essentiel dans la lutte pour la mise en valeur des richesses de l’islam dans sa globalité. Et c’est très important que des artistes assument leur appartenance religieuse et y puisent une énergie pure pour nourrir leur création contemporaine.

Comment vivez-vous votre foi et comment la faites-vous communiquer avec votre désir, votre état d’artiste ?

Je vis ma foi normalement avec beaucoup de fierté et d’équilibre. J’ai reçu un enseignement qui a comme socle l’amour de Dieu, du prophète Mohamed (PSL) et l’amour du prochain ainsi que le respect à l’endroit de toute créature divine. Pour moi, la religion est une richesse dans ma démarche artistique, et non un blocage. Un de mes maîtres spirituels feu Cheikhal Ahmet Tijane Sy (que Dieu l’agrée) était un érudit sensible à la création artistique et collectionneur d’œuvres d’art. L’art est une richesse pour tout humain. Il peut faire sentir le parfum du génie humain.

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« Trois Maîtres » – Dimension 2 m x 1,60 m – Année : 2017 – technique : acrylique sur papiers maroufles. © BMD

Qu’est-ce que votre œuvre a de particulier qui lui donne cette patine d’art à écho religieux ?

Mon travail s’inspire de la richesse graphique des signes. Dès mon enfance, à l’école coranique, j’ai connu l’écriture arabe… Aujourd’hui, mes aspirations visuelles se souviennent de ces signes, et cela vient renforcer ma démarche. Je n’écris pas des lettres qu’on peut lire, mais je m’inspire de leur richesse graphique dans leurs spécificités verticale, horizontale et oblique… De plus, je traite souvent des thèmes liés à l’éducation spirituelle, à la purification du cœur et de l’âme, dans une trajectoire qui permet à l’homme de tendre vers la pureté, l’équilibre et l’harmonie avec soi et les autres, dans le respect des modèles du soufisme.

L’un des problèmes que rencontre l’islam aujourd’hui est celui de la radicalisation de ceux qui boivent à la source d’un certain islam fortement inspiré par une philosophie très ancrée dans un pays comme l’Arabie saoudite. Comment pensez-vous qu’on puisse faire pour prévenir cette radicalisation ?

La radicalisation est à la source de toute cette violence qui, jusque-là, n’a fait que du mal à des innocents. Je trouve désolante cette manière d’interpréter les enseignements de l’islam. On ne peut imposer la foi aux autres. Si on veut que l’autre adhère à notre cause, mieux vaut le convaincre par nos actes. À mon avis, le Prophète, notre exemple, a séduit les humains par son comportement et n’a pris les armes que par légitime défense sous l’ordre divin. Je pense donc que la meilleure solution n’est pas la violence. L’islam que j’ai reçu de mes maîtres est un islam souple, tolérant, qui prône le respect de l’Autre dans sa différence, sans oublier la soumission totale aux directives du Saint Coran et de la Sunna du Prophète (PSL). Aujourd’hui, malgré cette mauvaise image véhiculée par certains, l’islam est une religion qui gagne du terrain au vu du nombre de ses adeptes.

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« Inoubliable » – Dimensions : 2 m x 1,50 m – Année 2016 – Technique : marqueurs permanents sur papiers maroufles. © BMD

Pour revenir à l’exposition, quels ont été les réactions et commentaires face à vos œuvres ?

Cette exposition a confirmé le respect que le public a eu à l’endroit de ma modeste personne à la suite de la découverte de mon travail à partir de la Biennale de Dak’Art 2016. J’ai reçu des félicitations et des encouragements de la part des visiteurs. Pour moi, c’est vraiment une fierté de pouvoir montrer mon travail à Paris. Cela m’ouvre de nouvelles perspectives de travail, de partage et d’expérience, car j’apprends et m’adapte très vite.

Comment voyez-vous l’évolution de votre œuvre d’artiste musulman dans les prochaines années ?

Pour moi, la civilisation islamique est une richesse de l’humanité. Je compte travailler en fonction des sensations que me propose la trajectoire de mes inspirations. Celle-ci sera toujours colorée par mon passé, mon vécu en tant qu’être social et musulman pratiquant, par mes aspirations, mes rêves, mes larmes, mes joies… Je compte vivre, avec ma religion, mon sport préféré qui est le karaté, mon envie de recherche et ma passion pour la création. Je demande seulement à montrer mon travail partout dans le monde et à partager mon expérience personnelle. Par l’expression visuelle, je propose d’ouvrir les fenêtres cachées de ma personnalité que, moi-même, je ne connais pas. Car, pour moi, créer, c’est se découvrir soi-même. Mon œuvre doit d’abord me toucher par surprise. C’est alors que j’espère qu’un autre en sera touché et gagnera une nouvelle expérience de sensation que seul l’art peut offrir.

Source: Art – Babacar Mbaye Diouf : « Créer, c’est se découvrir soi-même »