
IROKO PROJECT est une plateforme de financement participatif dédiée aux entreprises. Basée à Dakar, elle permet à celles-ci de bénéficier de prêts auprès des particuliers. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer et d’échanger avec un des co-fondateurs, Paul Knoery.
Africapostews : Bonjour Paul ! Quand avez-vous lancé Iroko Project ?
Paul Knoery : Avec mon associé Gilles, nous avons lancé Iroko Project en 2016. Les six premiers mois ont été consacrés à réaliser une étude de faisabilité que nous avons menée au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Nous avons publié un rapport justement sur cette étude qui portait sur le financement participatif. Pendant cette étude, nous avons noué des partenariats, créé notre modèle légal et lancé l’activité. Le premier projet a été financé en octobre 2016.
Et pourquoi lancer cette initiative ici, en Afrique de l’Ouest ?
Ce projet est en fait la continuité d’une réflexion que Gilles et moi menions depuis un moment déjà. Dans un premier temps, sur l’emploi et le chômage en Afrique de l’Ouest. Et dans un deuxième temps, sur la place primordiale qu’occupent les PME, car elles sont, selon nous, le levier le plus important pour combattre le chômage et créer de l’emploi.
Mon associé et moi avons eu l’occasion de faire plusieurs stages en Afrique. Gilles a fait un projet d’un an au Moyen-Orient sur le soutien aux PME via des associations locales. C’est donc la continuité de ce projet qui a donné naissance à Iroko Project. On est ainsi passé d’un soutien large aux PME à faciliter leur accès au financement. C’était la principale barrière qu’elles rencontraient.
Et donc Iroko Project, que faites-vous exactement ?
Comme je le disais, notre but était de faciliter l’accès au financement pour les PME. Nous avons d’abord regardé tous les modes de financement traditionnels et notre objectif était de proposer un nouveau canal de financement. Nous avons adapté le financement participatif en dettes rémunérées. Il s’agit d’un concept de financement à plusieurs des projets, en l’occurrence des PME. Sauf qu’ici c’est un véritable crédit remboursé par celles-ci, comme à la banque.
Concrètement, on permet à une entreprise qui a un besoin de 30 millions de FCFA (45.000 euros) par exemple de s’adresser à nous pour obtenir les fonds nécessaires. Si nous acceptons son dossier, nous sollicitons notre groupe de prêteurs inscrits, s’ils souhaitent participer à ce crédit. Si cent personnes sont d’accord pour prêter 300.000 FCFA (450 euros) chacune, nous mutualisons leur épargne. Ils sont ensuite remboursés sur toute la durée du crédit, les intérêts en plus.
Il s’agit donc de prêteurs particuliers ou des institutions et professionnels ?
Aujourd’hui, les financeurs sont uniquement des particuliers qui ont un compte en banque au Sénégal, ou en Afrique de l’Ouest plus généralement, peu importe leur nationalité. À terme, l’idée est de basculer sur un modèle hybride, où les financeurs peuvent être autant des particuliers comme des entreprises, des fondations ou des bailleurs internationaux.
Il suffirait de deux ou trois entreprises pour financer tous les projets dans votre portefeuille. Pourquoi se limiter aux entreprises comme source de financement?
Pour l’instant, il est difficile de convaincre une entreprise de financer d’autres entreprises. La plupart, lorsqu’elles ont des fonds, s’en servent pour réinvestir dans leur activité. C’est donc assez rare d’avoir des entreprises qui ont des excédents de trésoreries et qui ne savent pas quoi en faire. Il y en a, mais c’est vrai que ça nécessite avant de placer les montants, d’avoir une certaine visibilité sur le rendement.
Comme ce n’est pas un produit classique, les directeurs de trésorerie placent leur argent à la banque, parce qu’ils connaissent. Notre solution demande du temps et beaucoup de pédagogie, mais in fine nous souhaitons le développer, car nous pensons que c’est un outil puissant.
Dans le cas d’une entreprise où d’une PME, pourquoi aurait-elle recours à votre canal de financement et pas à une banque ?
Lorsque nous avons développé ce canal, nous souhaitions répondre à un besoin, proposer quelque chose de différent de ce que font les banques. Et cela réside dans le fait que nous proposons des crédits sans apports de l’entreprise. On parle souvent des taux d’intérêt en Afrique de l’Ouest, pratiqués par les organismes de microfinances et les banques.
Ces taux sont souvent très élevés, c’est difficile pour une PME d’emprunter. Et notre étude met avant le fait que le principal problème n’est pas le taux d’intérêt du prêt, mais plutôt l’apport nécessaire et les garanties demandées pour que celui-ci soit accordé. Nous proposons ainsi un crédit à un taux relativement similaire à ce qui se fait sur le marché.
Entre 9% et 17%. C’est souvent plus intéressant que les organismes de microfinance et les banques. En revanche, l’entreprise n’apporte aucune garantie ; et ça pour elle, c’est un point important. Mais pour maitriser le risque, ça nous contraint à ne faire que des crédits d’équipements. La PME est propriétaire du bien d’équipement. En revanche, si le crédit n’est pas remboursé, nous avons un droit de saisie. Après, il est vrai que nos crédits couvrent principalement l’équipement, une petite partie de Fonds de Roulement et des frais d’installation. Généralement, 75% du crédit vont être alloués à l’équipement et 25% aux frais annexes.
Pourquoi avez-vous choisi de vous implanter en Afrique de l’Ouest ? Pourquoi pas l’Afrique centrale ou l’Afrique l’Est ?
Nous pensons que notre modèle est viable partout en Afrique. Mais pragmatiquement, nous devions choisir un endroit où nous lancer. Nous avions plus d’affinités en Afrique de l’Ouest, nous maitrisions mieux l’environnement.
Sur le tissu d’entreprises, nous pensions aussi que c’était mieux adapté, car justement à la différence du Kenya ou même du Ghana, qui sont des pays beaucoup plus avancés dans l’économie numérique, en Afrique de l’Ouest, il y a beaucoup de PME dans la petite industrie et la transformation agricole. Ces dernières concentrent la majorité des emplois. C’est la raison pour laquelle notre volonté était de créer un produit financier qui s’adresse à ces structures traditionnelles, pour répondre à leurs besoins.
Et dans cette aventure, qui sont vos partenaires et pourquoi les avoir choisi eux ?
P. K : Nous avons deux partenariats principaux qui sont réellement structurants. Il s’agit d’une part de COFINA, une institution de mésofinance en Afrique de l’Ouest. Elle a financé une multitude de PME dans la région et a une véritable expertise sur l’analyse risque, notamment la mise en place d’un crédit pour les PME, la mesure du risque et le suivi tout au long du prêt. Pour nous, il est capital de travailler avec eux lorsque nous avons un projet à analyser, en suivant le processus d’étude que nous avons élaboré. COFINA nous accompagne ainsi pour l’évaluation de chaque dossier.
Pour notre deuxième partenariat, nous avons choisi le groupe KissKissBankBank qui est un des pionniers du financement participatif en France. Nous travaillons avec une de leur solution, la plateforme Lendopolis. Cette plateforme facilite le prêt aux entreprises par des particuliers en France. Comme notre fonctionnement est assez proche de Lendopolis, nous travaillons depuis notre début avec eux pour leur expérience sur le financement participatif. Il y a un véritable avantage pour nous à évoluer avec eux.
En dehors de ces deux grands partenariats, nous travaillons aussi avec des agences locales d’accompagnement de PME. Elles nous aident dans la sélection de dossiers de candidats de qualité.
Combien de structures avez-vous déjà accompagnées depuis votre lancement?
Pour l’instant, nous avons lancé les financements pour deux premières structures. La première fait de la transformation agricole, notamment des jus de fruits. Et la deuxième structure produit de la glace de conservation pour les produits de la pêche.
Et depuis le mois de mai dernier, nous avons lancé un troisième projet d’une salle de sport à Dakar (Sénégal).
Pour finir, le projet existe à Dakar. Quelles sont vos perspectives d’évolution ? La Côte d’Ivoire peut-être ?
Pour l’instant, nous sommes exclusivement à Dakar. Nous avons choisi de nous lancer ici, car nous pensons que l’écosystème PME y est davantage structuré, avec des agences d’accompagnement et une banque de développement, etc. En Côte d’Ivoire pour l’instant, toutes les institutions sont en refonte. Et c’était donc moins évident de trouver des partenaires qui connaissent bien les PME. Nous avons par conséquent choisi de nous lancer au Sénégal, car c’était plus facile pour nous. Et le but est de s’étendre à la fin de l’année 2017 en Côte d’Ivoire.
Et après cela, le reste de l’Afrique de l’Ouest dans un premier temps, particulièrement la zone FCFA. En effet, il y a une vraie homogénéité en matière de droit, du moins sur le droit des affaires et la réglementation bancaire par exemple. Et nous, notre modèle légal répond aux contraintes fixées pas la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Plus d’informations :
Paul Knoery
paul.knoery@iroko-project.com